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Communication, Vulgarisation, Médiation Scientifique... même combat ?

lundi 31 mars 2014

Communication, Vulgarisation, Médiation Scientifique... même combat ?

L’association des Petits Débrouillards est culturellement liée à la mise en pratique d’activités à caractère scientifique. De nombreux débats ont jalonné le passé pour savoir de qui avait raison ou tort de faire de la vulgarisation, de la médiation ou de la communication scientifique.

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De toute façon le débat est galvaudé puisque aujourd’hui les textes de l’UNESCO, après avoir défendu l’idée de Science ET société est passé à "Science EN société". Et le groupe de l’Alliance, propose tout bonnement de supprimer tout mot d’articulation, puisque de toute façon la science est une composante parmi d’autres de la société. C’est ce qui justifie le nom d’Alliance Science Société, Alliss pour les intimes. Plus sérieusement il serait tout de même salutaire pour tout débrouillard (petits ou grands) qui se respecte, d’avoir en tête les nuances qui existent entre ses différents vocables passant encore trop souvent pour des synonymes, mais qui font état de positions politiques différentes à l’égard de la nature des liens qui régissent, entre autre, le monde de la recherche et la population.

Je reviendrai donc sur quelques auteurs scientifiques qui ont justement étudié la question. Bigre oui, il y en a ! ce sont des chercheurs qui ont travaillé à partir de diverses disciplines telles que les sciences de la communication, l’épistémologie et l’histoire des sciences ou encore des sociologues des sciences.Il a existé dans les années 80, un mouvement assez critique envers les sciences dont les propos gardent une terrible actualité. Citons Baudoin Jurdan, Phillipe Roqueplo ou Jean Marc Levy-LeBlond parmi de nombreux autres... Cette mouvance a mis en évidence des phénomènes propres à la VS (effet vitrine, effet miroir) ou le caractère idéologique de la vulgarisation lié aux dimensions mythiques et sacralisées de la science communiquée, conduisant à la paradoxale science dogmatique.

Enjeux et paradoxe de la VS pour la science

Pour Jurdan (1996), l’activité de vulgarisation est un élément constitutif de la science, il n’est pas un simple avatar dénaturé que seule une poignée de chercheurs sur le déclin ou à la carrière bien remplie qui n’a plus rien à prouver. La science construit sa réalité universelle grâce à l’activité du vulgarisateur qui médiatise et intègre les produits de la science dans la langue commune. Cette même langue servant à rendre les objets accessibles dans le quotidien et qui ne s’interroge pas sur les problèmes ontologiques (relatif à à l’être) ou métaphysiques (étude des lois premières déterminant les lois explicatives) que peut suggérer l’association "mot-réalité" plutôt que "mot-représentation". Sans cela, la science perdrait définitivement tout contact avec la réalité. En effet, elle n’a cessé de développer par obligation un langage toujours plus spécifique peu accessible. Cela tiens au fait que l’activité scientifique consiste à construire et à nommer des représentations particulières, ayant pour finalité de décrire un aspect de la réalité qui échappait à toute description ou compréhension jusque-là. Ce faisant, la science risquerait de compromettre le caractère universel des savoirs qu’elle produit, puisqu’elle n’est plus compréhensible que par les spécialistes travaillant ces savoirs. Ainsi la VS de par sa vocation à faire le lien entre le chercheur et la pensée collective, permet ni plus ni moins à la science d’exister. Mais paradoxalement, pour parvenir à traduire la pensée du chercheur, la VS passe obligatoirement par une caricature de la pensée du chercheur, mais aussi du processus permettant à la science de produire des savoirs socialement stabilisés à partir de connaissances individuelles. C’est pourquoi plusieurs auteurs évoquent "l’impossible vulgarisation".

De cette impossibilité pourrait venir le phénomène du miroir. Le vulgarisateur sensé assurer la médiation (donc normalement être totalement extérieur au enjeux des parties entre lesquels il faut réaliser la médiation) doit construire un discours qui satisfasse chacune des parties. Le scientifique d’un côté et le public d’un autre. Chacune des parties va projeter ce qu’elle a envie de voir dans le discours simplifié du vulgarisateur, de sorte que chacune des parties construit une image de la science qui lui est propre, mais qui sera différente de celle créée de l’autre côté du miroir (du médiateur) et chacun aura la satisfaction d’avoir contribuer au rapprochement entre profanes et initiés. C’est ce qui pourrait expliquer que la vulgarisation scientifique, au lieu de réduire l’écart entre les deux mondes, aurait tendance soit à maintenir l’écart, soit à le conforter. Comment l’association s’empare-t-elle de ces questions ou critiques ? Comment mieux mesurer l’impact de notre action en matière de VS ? Que proposer d’autre, sachant que les politiques d’éducation aux sciences semblent ne pas avoir eu l’effet escompté envers les populations visées initialement, à en croire les propos de notre secrétaire général François Deroo,tenus lors de la table ronde du Sénat en 2013 (cf référence).

Enjeux de la VS pour la société

JM Levy-Leblond écrivait également, dès 1983, que la vulgarisation était impossible et que pour comprendre la recherche il fallait pratiquer la recherche. Il s’interrogeait en outre sur les raisons qui poussent le pouvoir à promouvoir la culture scientifique et à octroyer un statut si particulier aux savoirs scientifiques alors qu’il existe d’autres formes de savoir très spécialisés pour lesquels on ne revendique pas une diffusion universelle. Le premier argument évoqué est la promotion d’une démocratie technoscientifique. Déjà à l’époque et c’est encore plus vrai aujourd’hui, le débat démocratique a tendance à disparaitre sous les coups de boutoir des arguments d’autorité de l’expertise technique et scientifique. Cet auteur faisait l’analogie entre nos ancêtres révolutionnaires qui ont dû faire face à la construction de la démocratie politique, alors que la société sortait de l’ancien régime dans lequel l’égalité politique n’existait pas. (D’ailleurs cette révolution n’a pas permis d’aborder la démocratie économique qui reste un gros problème de nos sociétés occidentales.). Levy-Leblond (1983) préconisait alors de travailler à l’alphabétisation des sciences pour créer des outils nécessaires à la construction d’une démocratie scientifique et technique. Qu’en est-il aujourd’hui ? Même si Lionel Larqué défend au nom de l’Alliance une hausse de l’esprit critique liée à une meilleure connaissance des sciences, je ne suis pas vraiment sûr que nous ayons atteint la démocratie scientifique et technique. En effet, John Durant (1993) rappelait que la culture scientifique correspondait à trois définitions abordant trois aspects différents de la science sans que l’on ne les précises dans les discussions et débats. La première forme se concentre sur la vulgarisation de la connaissance scientifique. C’est là la principale forme que nos partenaires institutionnels, éducatifs, et même du milieu de la CST ou du milieu scientifique plébiscitent. La seconde approche consiste à vulgariser les processus scientifiques, c’est à dire les procédures intellectuelles et manuelles qui permettent de produire les connaissances scientifiques. Là je pense que notre association s’est historiquement positionnée d’avantage dans cette approche. Enfin la troisième approche serait la vulgarisation du fonctionnement des structures sociales de la science. Et là, personnellement, en dehors de quelques visites de laboratoire, je n’ai que trop peu vu de travail qui fasse comprendre à la population comment les projets de recherche se définissent, comment le conseil national universitaire évalue les projets de recherche ou sur quels critères sont comparés les productions scientifiques internationales. Aussi si l’on tient compte de cette triple définition, je prendrai le risque de dire que nous sommes encore très loin d’une mise en culture de la science préconisée par JM Levy-Leblond.

Pour en revenir aux enjeux de cette mise en culture de la science, il existe l’enjeu économique que l’auteur relie directement à l’enjeu démocratique. Le niveau culturel en CSTI a également pour vocation d’accompagner l’usage social et quotidien de la technologie. Soit pour améliorer la capacité de la population à définir ses propres et réels besoins, soit pour améliorer chez le citoyen la capacité de maintenance de ses équipements sans quoi la dépendance à la technologie deviendra grandissante, limitant de fait les libertés individuelles. Sur plan, il serait intéressant d’évaluer le degré de dépendance du citoyen envers les services techniques des industries au fil du temps. mais je pressents fortement la réponse. Enfin la troisième raison qui pousse à promouvoir la CST est culturelle. JM Levy-Leblond défend la nécessité de protéger la liberté d’utilisation des savoirs scientifiques par les personnes. Personne ne doit être là pour juger si ce que la personne fait des connaissances scientifiques transmises est conforme à l’idéal scientifique. Il s’agit par contre de conserver un esprit critique sur les détournements et les exploitations éthiquement douteuses dans le cadre d’un débat public.

Quoi qu’il en soit, les enjeux politiques, économiques et démocratiques ciblés il y a trente ans et justifiant l’existence de la CSTI, semble échapper malheureusement encore trop largement à la population. Les experts conservent une influence que Roqueplo (1996) critiquait déjà il y a presque 20 ans, et qu’Edgard Morin dénonce à sa façon, en rappelant que l’ultra spécialisation des sciences rend les scientifiques aveugles quant à la connaissance de problèmes globaux nécessitant de la transdisciplinarité. Les expert scientifiques peuvent alors être considérés comme très peu pertinent sur des questions d’ordre politique. C’est pourquoi Roqueplo militait pour un modèle judiciaire de l’expertise, où l’expert scientifique est invité tel l’avocat, à défendre de façon publique une position donnée sur un problème donné relative à son expertise, face à d’autres experts de domaines différents. Les décideurs prennent le rôle de juge et mobilise autant d’expert que nécessaire. Les décisions politiques ne reposent pas que sur des arguments technologiques ou scientifiques, mais font aussi appel à des arguments éthiques ou spirituels...

Qu’avons nous à dire sur ces sujets, quelles vulgarisations faisons nous ? Quelles est celles que nous souhaitons promouvoir ? Quels moyens nous donnons-nous pour y parvenir ?

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Références documentaires :

Baudouin Jurdan, 1996. Enjeux et paradoxes de la vulgarisation scientifique. Article paru dans les Actes du Colloque "La promotion de la culture scientifique et technique : ses acteurs et leurs logiques, le 12 et 13 décembre 1996, Université Paris 7 - Denis Diderot, p. 201 à 209.

Durant John, 1993. Qu’entendre par culture scientifique. Alliance n°16 - 17 ; Été Automne 1993.

Levy-Leblond, Jean-Marc. 1983. La vulgarisation : Mission Impossible ? Transcription d’une intervention orale au colloque International sur la Vulgarisation Scientifique, Bologne 1-2 mars 1983, publiée (en traduction italienne) dans les actes du Colloque parus dans la revue SAPERE Aout-Sept 1983

Lionel Larqué. 2013. L’association Alliance Science Société Présentation orale à la table ronde du Sénat, animée par Marie Christine Blandin, commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Disponible sur : http://videos.senat.fr/video/videos/2013/video16784.html . Consulté le 27 janvier 2014.

Roqueplo Phillippe. 1996. Discours de Philippe Roqueplo : Institutionnaliser les débats entre experts : le modèle judiciaire. 18 octobre 1997 TR 3 : Les scientifiques face au débat public. Disponible sur :http://www.science-ethique.org/site_ES/programme.php?internum=1054&PHPSESSID=788548baf5e6e1ab82be6f6ebe116af5 . Consulté le 27 janvier 2014.

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